Covid-19 : variation du discours politique sur le port du masque en France

Passé d’accessoire inutile à dispositif obligatoire, le masque pour se protéger soi et protéger les autres de la transmission du Covid-19 a connu plusieurs doctrines en France en l’espace de quelques mois. Simples errements du gouvernement ? Retour sur un discours qui n’a cessé d’évoluer. Jusqu’à se contredire.

Au commencement de l’épidémie de Covid-19 en France, le port du masque n’était pas nécessaire, assurait l’exécutif dans les médias. D’inutile, il est d’abord devenu obligatoire dans les transports en commun, lors du déconfinement, puis dans tous les lieux publics clos à partir du 20 juillet, jusqu’à devenir, ces derniers jours, indispensable dans les centres-villes de centaines de petites et grandes villes françaises. Depuis le 3 août, des arrêtés municipaux ou préfectoraux imposent en effet de “sortir couvert” dans les rues de Lille, Nice, Tours, Biarritz ou Annecy et les lieux particulièrement touristiques comme le Mont Saint-Michel.
Les recommandations autour du port du masque ont ainsi évolué au gré des statistiques, du nombre de morts et de lits enregistrés quotidiennement dans les services de réanimation. Une communication gouvernementale ratée ? “Elle a été pour le moins erratique, estime Arnaud Benedetti, spécialiste de la communication politique et rédacteur en chef de la revue Politique et parlementaire, dans un entretien à France 24. Elle n’a cessé de changer parce que l’exécutif a commis une première erreur en sous-estimant l’ampleur de la crise sanitaire.”

“Les risques de propagation du coronavirus sont très faibles”

Il faut dire que dans les tous premiers temps, alors que le coronavirus n’était qu’un lointain virus qui ne semblait frapper que les habitants de la ville de Wuhan en Chine, on pensait que le SARS-CoV-2 ne franchirait pas les frontières. Le 24 janvier, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, – qui n’était pas encore candidate à la mairie de Paris -, assurait à la sortie du Conseil des ministres, que “le risque d’importation de cas depuis Wuhan est pratiquement nul parce que la ville est isolée. Les risques de cas secondaires autour d’un cas importé sont très faibles, et les risques de propagation du coronavirus sont très faibles”. Prudente, elle avait ajouté, “cela peut évidemment évoluer dans les prochains jours s’il apparaissait que plus de villes sont concernées en Chine ou plus de pays, notamment de pays de l’Union européenne.” Une précaution qui s’avérait utile pour la suite. On apprend en effet plus tard, que dès ce même 24 janvier, quatre personnes étaient déjà infectées en Métropole.

Dans le même temps, à Wuhan, foyer mondial du Covid-19, le port du masque, pratique courante en Asie, est massivement adopté par la population dès les premiers jours de l’année. En France, la question du port du masque émerge tout juste dans la presse et les esprits. Interrogée le 26 janvier lors du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro sur l’utilité de ces protections faciales, la ministre de la Santé est très claire : “Les masques chirurgicaux (…) sont uniquement utiles quand on est soi-même malade, pour éviter de contaminer les autres.” Et de préciser : “Le masque bleu, chirurgical, (…) n’offre aucune protection contre le virus, il ne protège de rien.”

Agnès Buzyn se veut même rassurante. “Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. Si un jour nous devions proposer à telle ou telle population ou personne à risque de porter des masques, les autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin.”

Inutiles pour les personnes saines

L’épidémie, pendant ce temps, poursuit sa course folle. Un touriste chinois de 80 ans, hospitalisé à Bichat, meurt 14 février. Un premier foyer épidémique est identifié dans le département de l’Oise, au nord de Paris, courant février. Le 17 février, un rassemblement évangélique à Mulhouse devient l’un des principaux facteurs de propagation du Covid-19 sur le territoire. Le 14 mars, l’épidémie passe au stade 3, tous les lieux recevant du public non indispensable à la vie du pays sont fermés, puis la France est confinée à domicile à partir du 17 mars, afin de stopper la diffusion exponentielle du Covid-19.

À ce stade, la communication gouvernementale commence à évoluer car la presse révèle que les commandes passées par la France, dépourvue de stock, peinent à être acheminées. Lors de la séance du 19 mars à l’Assemblée nationale, le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran fait état d’un stock de 150 millions de masques chirurgicaux et aucun masque FFP2. Les besoins en masques sont pourtant estimés à 24 millions par jour. “C’est vraiment une denrée rare, une ressource précieuse pour les soignants, et totalement inutile pour toute personne dans la rue”, déclare le directeur général de la Santé Jérôme Salomon le 18 mars, qui veut à tout prix éviter que les Français ne se ruent dessus. Les précieuses protections ne sont d’ailleurs disponibles que sur prescriptions médicales et réservées aux malades du coronavirus, aux personnes vulnérables et aux professionnels de santé. Force est de constater qu’”en France, la communication autour des masques a été maladroite, voire trompeuse parce qu’elle a été dictée par la pénurie qui a par la suite été révélée au grand jour”, poursuit le professeur Benedetti.

Haro sur les masques chirurgicaux et artisanaux

Des milliers de morts plus tard, le discours évolue encore. Avec une meilleure connaissance du Covid-19, le port du masque apparaît désormais au fil des semaines comme une solution pour limiter la propagation du virus. Deux articles publiés en avril dans la prestigieuse revue Nature font évoluer les positions : le premier émet l’hypothèse que le virus se transmet par les voies aériennes ; le second atteste que le port du masque réduit bel et bien les chances de transmission du coronavirus.

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Fin avril, à la faveur de l’amélioration des stocks, Olivier Véran encourage les Français dans les jours qui suivent à se procurer une protection chirurgicale ou artisanale. Le 13 avril, Emmanuel Macron, lors d’une allocution télévisée entérine son usage : “L’État, à partir du 11 mai, en lien avec les maires, devra permettre à chaque Français de se procurer un masque grand public. Pour les professions les plus exposées et pour certaines situations, comme dans les transports en commun, son usage pourra devenir systématique.” Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, s’appuyant sur les recommandations des organisations scientifiques, confirme, le 2 mai, son intention de l’imposer dans les transports en commun. Puis dans un contexte de légère reprise du virus, Emmanuel Macron rend le masque obligatoire à partir du 1er août dans tous les lieux publics clos, comme les commerces ou les administrations.

“La communication n’est pas une science”

Pour justifier cette volte-face, le chef du gouvernement, Édouard Philippe, s’abrite derrière les errements de la médecine et des maigres connaissances sur le sujet. “Les scientifiques ont eux-mêmes évolué”, et jugent maintenant le port du masque “préférable dans de nombreuses circonstances”. Des propos indéniables. Mais “la deuxième erreur du gouvernement dans cette crise a été de trop s’indexer sur les avis de la médecine, abonde Arnaud Benedetti. Or, la démarche scientifique, qui se nourrit du doute, n’est pas celle de la politique qui doit agir vite et dans la clarté.”

À ce jour, la communication n’est pas plus claire, à en croire les observateurs politiques. “La communication autour des masques est toujours peu audible car l’exécutif le rend obligatoire dans les lieux publics et laisse perdurer le flou sur son usage à l’extérieur. Le gouvernement n’a pas pris de décision sur ce point, ce sont aux responsables locaux de décider.”

Reste que le gouvernement bénéficie de circonstances atténuantes. Certes, la France a déjà traversé des crises sanitaires comme celles de la canicule en 2003 ou la crise aviaire (H5N1) en 2006 mais n’a jamais connu pareille épidémie ces dernières décennies. Sans compter qu’”aujourd’hui, les opinions publiques ont des exigences bien plus fortes en matière de risque sanitaire qu’il y a 50 ans, reconnaît Arnaud Benedetti. Le développement de l’environnement médiatique a également rendu les décisions plus délicates à prendre pour les responsables politiques et la communication plus difficile à mettre en place. Une chose est sure : la communication politique, à l’inverse de la médecine n’est pas une science, elle n’est jamais parfaite. Et au-delà de cela, aucune communication, si bonne soit-elle, ne peut résoudre une situation critique”.

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