Les services publics français face à la radicalisation : un état des lieux inédit

Un rapport parlementaire rendu public mercredi conclut que les secteurs de la sécurité et de l’éducation sont peu atteints par la radicalisation. En revanche, les prisons, les transports ou le sport sont davantage touchés.

“Après les attentats de 2015, la prise de conscience du phénomène de la radicalisation a été énorme dans les services publics”, ont estimé les deux rapporteurs Éric Poulliat (député LREM de Gironde) et Éric Diard (député LR des Bouches-du-Rhône) en présentant, mercredi 26 juin, la conclusion de leurs travaux devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale.

Le phénomène n’en est pas moins complexe à appréhender. “Il n’y a pas de profil type de personne radicalisée, une personne peut être intégriste dans sa pratique religieuse et rester quiétiste, tandis que quelqu’un de non pratiquant, consommant de l’alcool et sortant en boîte peut basculer”, ont relevé les deux députés devant leurs collègues.

Basées sur une cinquantaine d’entretiens menés depuis l’automne dernier avec des responsables de services publics, les 113 pages de leur rapport, que France 24 a pu consulter, dressent un constat nuancé du degré d’impact de la radicalisation sur les grands domaines de l’action publique…

Sécurité, justice, Éducation nationale : des services relativement préservés

Selon le rapport, les forces armées et les forces de sécurité intérieure dans leur ensemble (police et gendarmerie) sont “globalement étanches à la radicalisation”. La proportion de suspicion de radicalisation est ainsi évaluée à 0,05 % au sein de l’armée de terre et 0,03 % au sein de la marine. Du côté des forces de sécurité, sur 130 000 gendarmes et de 150 000 fonctionnaires de police, il y aurait une trentaine de suivis pour suspicion de radicalisation (et non cas de radicalisation avérés), ce que les rapporteurs jugent “objectivement très faible”. Cela s’explique, selon eux, par une “incompatibilité de nature” entre ce type de profession et la radicalisation, ainsi que par la sensibilisation de “tous les niveaux de commandement” à cette menace.

Le rapport se félicite, par ailleurs, de l’évolution des mentalités au sein de l’Éducation nationale, avec des personnels qui n’hésitent plus à mettre en œuvre rapidement les procédures de signalement, notamment lorsqu’il semble y avoir un risque de départ de jeunes pour le jihad (selon les chiffres de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, un tiers des signalements de mineurs effectués depuis 2015 auprès des états-majors de sécurité l’ont été par l’Éducation nationale). “En matière de radicalisation, l’Éducation nationale n’est ni dans le déni, ni dans la panique”, a ainsi résumé Éric Poulliat devant ses collègues mercredi matin.

Détention carcérale, transports, sport : “des zones d’ombres”

Les “usagers” du service public les plus touchés par la radicalisation se trouvent être, sans surprise, les personnes incarcérées pour des faits de terrorisme (actuellement au nombre de 511) mais aussi pour des faits de droit commun mais signalés pour radicalisation (entre 1 100 et 2 000 détenus seraient concernés, selon les sources). Des chiffres inquiétants dans un contexte de “surpopulation carcérale”. Pour limiter le prosélytisme en prison, les rapporteurs proposent notamment un rapprochement du statut des aumôniers pénitentiaires sur celui des aumôniers militaires, lesquels sont des contractuels de l’armée.

Enjeu clé pour la sécurité des personnes, la radicalisation dans les transports publics fait aussi l’objet d’un état des lieux dans le rapport. On peut notamment lire qu’à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, sur 80 000 personnes titulaires d’un badge d’accès aux zones “réservés”, 80 personnes font l’objet d’un suivi régulier pour radicalisation et 29 d’un suivi ponctuel. À l’aéroport d’Orly, ce sont 25 personnes qui font l’objet d’un suivi régulier et 5 d’un suivi ponctuel.

La Régie autonome des transports parisiens (RATP) a, pour sa part, indiqué aux rapporteurs avoir reçu 124 avis négatifs sur 5 808 dossiers transmis au Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS).

Lors de la présentation du rapport devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale mercredi, le volet concernant la radicalisation dans le sport a visiblement surpris les députés. Bien que difficile à évaluer du fait de la multiplicité des acteurs (fédérations, collectivités, salles privées…) et de la difficulté pour les services de renseignement à pénétrer ce milieu, la radicalisation semble progresser sous différentes formes dans ce champ incontournable de l’action publique, note les rapporteurs. “La radicalisation des encadrants est particulièrement dangereuse, compte tenu de l’influence que ceux-ci peuvent avoir, notamment auprès des plus jeunes”, soulignent-ils en appelant à “une prise de conscience urgente”. Selon eux, la peur de remettre en cause les résultats, ou la crainte d’interférer avec l’organisation de grands événements sportifs comme les JO de Paris en 2024, par exemple, expliqueraient en partie une tendance à minimiser le phénomène.

La montée en puissance du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS)

Outre un renforcement des formations de détection de la radicalisation et une meilleure communication entre administrations, les rapporteurs insistent à de nombreuses reprises sur la nécessité d’élargir les moyens et le champ de compétences du SNEAS, notamment aux personnels qui sont en contact avec des mineurs.

Créé en 2017 et chargé de détecter les profils suspects au sein des services publics, ce service est toujours plus sollicité par les administrations : en 2018, 318 464 enquêtes ont été réalisées (débouchant sur 485 avis d’incompatibilité, dont 116 dans les transports publics et 5 dans la police). En 2019 et en 2020, le nombre annuel d’enquêtes devrait s’élever à 1,6 million. Le service devrait alors comprendre 69 agents… contre 23 actuellement.

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