L’humaniste par ailleurs écrivaine autodidacte originaire de l’océan Indien, Madame Sandia Karima sur les traces des ses ancêtres.

Pour mon arrivée au monde j’ai bénéficié d’un climat et d’une ambiance très agréable et j’ai également eu la chance d’être le fruit, par mes ancêtres, d’un mélange de cultures.
Maman se prénommait Bibi Zaharia. Bibi, prénom hindou, signifie « la femme aux secrets ». Comme son prénom l’indique, femme très réservée et sensible, elle menait sa vie de façon rigoureuse et manquait d’audace pour la vivre. Elle ne s’autorisait jamais de brin de folie. Equilibrée, solide elle était dotée d’une grande intelligence de cœur.
Notre éducation a été réfléchie dans les moindres détails. Elle savait définir une priorité dans nos besoins et essayait de répondre à toutes nos attentes et sollicitations.
Elle nous évoquait souvent de vieux souvenirs nous concernant, ce qui nous surprenait toujours car sa mémoire était bonne et son parler sûr et précis.
Elle était native de Chouani, située à 17km de Moroni, l’une des villes les plus anciennes des Comores.
L’histoire raconte que Moroni aurait été peuplée par ceux qui, au prix de leur vie, auraient entrepris un long voyage sur un boutre à voile pour échapper à leur misère et atteindre le continent de leurs rêves. Donc, des conquérants ! Prémisses encourageantes pour la descendance !
Ils auraient échoué sur nos côtes lors des premières arrivées en provenance du golfe persique des voyageurs musulmans pendant les premiers siècles de l’Hégire, après 622. Renseignement scolaire mais nécessaire ! Car, ainsi, naquît un lieu et la lignée de nos familles, les Mboulihanou, qui nous ont certainement transmis le goût de l’ailleurs, l’audace et la persévérance. Nous devions faire aussi bien voire mieux !
Bibi a toujours été proche du pouvoir. Deux de ses cousins ont été, à tour de rôle, Président des Comores, Ali Soihili de 1975 à 1978, et, Saïd Mohamed Djobar de ? à 1995. Ayant grandi avec eux, ils étaient comme frères et sœurs.
Son père, mon grand-père maternel, nommé Abdoulaly, était originaire de l’Etat de Goudjerat, la région de Gandhi, situé dans l’Ouest de l’Inde. Issu d’une famille modeste et d’une caste de commerçant, l’une des plus nomades, il avait beaucoup de principes et les respectait avec une grande rigueur. Ses valeurs morales ont guidé sa vie. Je m’en suis imprégnée. Sa langue, le goudjerati, était un mélange d’arabe et de farsi, et très proche du rajasthani dont il dérive. Beaucoup encore le parlent dans l’Archipel des Comores. Je n’en connais aucun mot !
Issu d’une famille très pieuse, la religion l’a beaucoup influencé. En effet, il a été élevé dans une foi musulmane « bohora » avec une influence bouddhiste et hindouiste très forte. Cependant son respect pour autrui était grand et sa foi très tolérante ! Au point de respecter toutes les autres formes religieuses indiennes.
Notre famille croyait au karma, à la réincarnation et à toute forme de vie spirituelle. La tolérance et l’obéissance ont eu une place capitale dans notre parcours de vie.
J’adhère complètement à cette démarche car, comme je le dis souvent, “la religion a sa vérité et la spiritualité cherche cette vérité en permanence à l’intérieur de nous-mêmes “.
Abdoulaly a légué à tous ses descendants l’esprit de cette religion hindouiste qui se caractérise par le respect de l’autre qu’il soit homme, animal ou végétal et l’acceptation des souffrances ; il en est ressorti un sentiment de quiétude, de sérénité qui en fait notre identité.
Son mariage avec ma grand-mère, Madame Moina Mahamda Salma, avait quelque chose d’exceptionnel car, dans sa famille, l’exigence était de prendre pour épouse une femme de leur caste.
Son amour a été si fort pour elle qu’il s’est abstrait de cette coutume familiale, et a vécu une grande histoire avec celle-ci. Cependant, il s’est aussi marié par la suite une deuxième fois à une des leurs, une fille de bonne famille selon les dire de ses parents. Cette personne est toujours en vie.
D’origine comorienne et omanaise, ma grand-mère Salma a transmis à ses enfants un islam pacifique, à mi-chemin entre celui des Chiites et celui des Sunnites, l’Islam Ibadite. Chacun en a été imprégné et l’a traduit dans tous ses actes citoyens ou politiques. La culture et l’érudition ont fait partie de leur quotidien.
Mon père, Mohamed Boina, était d’origine comorienne et travaillait comme commerçant. Il était bigame et de ce fait, très rarement auprès de moi. J’ai connu sa deuxième femme et ses « autres » enfants. Entre ses absences prolongées et l’indifférence et la cruauté de ma belle-mère, j’ai ressenti de grandes souffrances.

Mon grand-père paternel, Boina Mbéchezi, possédait des hectares de domaine. C’est la raison pour laquelle il prit le surnom de Mgni Daho.

La lignée paternelle est issue de Chezani et Ouellah Mitsamihouli, situés au nord-est de l’île. Ma grand-mère paternelle, Mnatro, était, quant à elle, native de Tsaweni et Maweni.
La situation de départ, ainsi décrite et couplée à cet entourage métissé et aimant laissaient entrevoir une évolution heureuse, douillette et sereine.
La force du pouvoir, le confort matériel de toute part et la mixité culturelle ne pouvaient que favoriser mon épanouissement et mon ouverture d’esprit. Hindoue, comorienne, omanaise, un cocktail de diversités religieuses et culturelles. En commun, j’ai retenu trois mots-clés, la bienveillance, le respect de l’autre et l’altruisme.
Comme mes parents se sont séparés très rapidement après ma naissance, j’ai été hébergée chez mon oncle paternel. Ma mère aurait pu s’occuper de moi, mais j’étais la dernière d’une famille de 7 enfants et il était plus facile pour elle de me confier à son frère, Ali Soihili, Président des Comores. La vie de palais était très agréable et ces premières années furent pour moi féériques. Elles se sont déroulées dans la quiétude, le confort et l’amour de mes proches. Il est courant dans notre pays que les oncles s’occupent de leurs neveux et nièces, mais le fait que cela se soit déroulé dans un contexte familial exceptionnel lié à la proximité du pouvoir n’a fait que décupler la magie de ces premières années.
Mais, après la disparition brutale de mon oncle, alors que je n’avais que trois ans, je suis retournée vivre avec ma mère et mes frères et sœurs, comme le prévoit d’ailleurs la société musulmane aux Comores. En effet, les espaces familiaux se transmettent par les femmes et l’occupation du sol est continue de mère en fille. La mère est de ce fait le pivot et le point stable des familles secouées par les divorces. Maison familiale et mère sont confondues et cette situation est une sorte de contre-pouvoir à l’autorité absolue de l’homme qui entre et sort de la maison selon son gré. C’est la femme, donc la mère qui héberge son époux, qui, lui polygame, se déplace dans la maison de chacune. Mais celui-ci peut cependant, en cas de divorce, demander la garde de son enfant et l’obtenir, si la mère est issue d’un milieu plus défavorisé. Ce ne fût pas mon cas, et de plus, étant « fille », l’intérêt était moindre !
Les contraintes de la grande famille et, les charges du quotidien ne nous ont pas empêchés de vivre des moments prodigieux. La convivialité du groupe familial et la douceur colorée des paysages exotiques qui entouraient notre maison nous ont beaucoup aidés. J’ai vécu très heureuse auprès de ma mère.

Avec le temps, je me suis rendue compte que je n’avais pas de souvenirs précis de ma petite enfance. Ma vie a été marquée par l’absence permanente de mon père. Pour la compenser, je m’inventais une vie de contes de fées.
Cela m’était facile car le surnaturel et le fantastique font partie intégrante de la culture des Comores et de tout l’océan indien en général. C’est principalement le fruit des origines africaines. Il n’y a pas une histoire, une légende sans « djinns », êtres bienfaisants en général, mais parfois effrayants ! De nombreuses personnes se disent possédées par ces créatures imaginaires pour se préserver ou pour faire souffrir les autres selon leur bon-vouloir !
D’ailleurs, récemment en 2015 un lycée a été temporairement fermé à cause de prétendues présences de djinns…Les filles pleuraient, hurlaient et le proviseur désemparé a décidé de fermer le lycée.
Une rumeur circulait attestant que le lycée avait été construit sur un cimetière.
Nous reviendrons avec un autre numéro sur les ancêtres de Madame Sandia Karima.

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