Mankeur Ndiaye : «La COVID-19 a rendu encore plus difficile la mise en œuvre de notre mandat»

Mankeur Ndiaye, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal sous Macky Sall, ambassadeur du Sénégal à Bamako au Mali sous le Président Abdoulaye Wade et à Paris sous le magistère de Président Sall, actuellement Représentant spécial du Secrétaire général des Nations-Unies en Centrafrique, a répondu aux questions de Sud Quotidien. L’ancien chef de la diplomatie sénégalaise parle, tour à tour, de la gestion de la pandémie de la Covid-19 par le système des Nations-Unies, notamment du rôle de l’Oms, l’impact de cette pandémie en Centrafrique, l’exécution du mandat que lui a confié le Conseil de sécurité, mais également sur la situation politico-militaire dans ce pays où il est à la tête de la Mission de l’ONU (la Minusca). L’ancien ministre de Macky Sall n’a pas non plus manqué de jeter un regard sur la situation au Sénégal et son éventuel retour aux affaires.

M. le Représentant Spécial, depuis le début de la pandémie de la Covid-19, la Communauté internationale est particulièrement interpellée. Il est notamment reproché à l’Organisation mondiale de la santé, de n’avoir pas exercé son rôle de leadership dans cette crise. Partagez vous une telle opinion ?
Comme l’a toujours souligné le Secrétaire général, ce qu’il faut aujourd’hui c’est l’unité et la solidarité, au moment où la pandémie vient de franchir la barre des 500.000 morts dans le monde. Ici, en République Centrafricaine (RCA), la MINUSCA et toute la famille des Nations Unies travaillent sous la coordination de l’OMS en ce qui concerne notre réponse à la COVID-19 en appui aux autorités centrafricaines. C’est un appui extrêmement important mis en place bien avant le 14 mars 2020, date de l’apparition du premier cas de COVID-19 en RCA, et apprécié à sa juste valeur par les autorités centrafricaines. Il porte aussi bien sur la coordination avec le Ministère de la Santé, la mise à disposition de ressources pour la réponse sanitaire telles que la construction de centre de triage et d’isolement des malades, la sensibilisation et la distribution de matériels divers, y compris des kits d’hygiène et de l’eau. La MINUSCA a décidé d’orienter près de 3 millions de dollars de ses fonds programmatiques et des projets de lutte contre le COVID-19. Au moment où je vous parle plus de 15 millions de dollars US ont été dépensés rien que pour le mois de juin pour faire face à l’impératif de réajustement de nos stratégies et de prise en charge de notre plan de contingence aussi bien pour la survie de nos opérations et programmes que de notre personne.
Comment les opérations de maintien de paix se déroulent-elles en cette période de pandémie ?
La pandémie de la COVID-19 a rendu encore plus difficile la mise en œuvre de notre mandat. D’abord au plan militaire, les rotations des différents contingents de la Force ont dû ralentir puis être stoppées avant de reprendre ces dernières semaines mais en respectant toutes les consignes de l’OMS et du ministère de la Santé. Ce qui se traduit par une mise en quarantaine des relèves de différents contingents arrivés récemment sur le sol centrafricain. Concrètement au lieu que ces contingents soient immédiatement disponibles pour être déployés sur le terrain, ils passaient 21 jours de quarantaine selon les textes en vigueur dans le pays. Les activités programmatiques prévues de longs mois ont été mises en veilleuse et les fonds redirigés pour la lutte contre le COVID-19. Mais sous la direction stratégique du leadership de la Mission et en consultation avec le Quartier Général avec les orientations du Secrétaire Général des Nations Unies, nous avons maintenu le cap sur la mise en œuvre du mandat malgré le contexte sanitaire difficile de l’heure. Ainsi, j’ai instruit la section électorale de la MINUSCA à appuyer fortement l’Autorité Nationale des Elections (ANE) pour que les échéances du calendrier électoral soient respectées. Et pour minimiser l’impact de la pandémie sur notre personnel, nous avons organisé le télétravail pour tous dans les limites des contraintes techniques, afin de diminuer l’empreinte physique des employés dans les bureaux. Et avec les fermetures de frontières et la suspension des vols commerciaux plusieurs de nos staffs restent toujours bloqués à l’extérieur. Tout cela a rendu beaucoup plus complexe la mise en œuvre de notre mandat.
Comment, dans un contexte de pandémie de Covid 19, de fragilité institutionnelle et de multiplicité des acteurs, la Minusca gère-t-elle le mandat qui lui est confié par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies ?
La mise en œuvre du mandat de la MINUSCA exige une concertation permanente avec les différents partenaires, le premier d’entre eux étant le gouvernement centrafricain. En tant que Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, j’ai une rencontre hebdomadaire avec le Chef de l’Etat pour discuter du mandat et des défis de la RCA. Mes Représentantes spéciales adjointes, le Commandant de la Force et le Chef de la composante Police de la MINUSCA sont également en contact permanent avec d’autres membres du gouvernement. Cette interaction est également menée dans les préfectures, avec les hommes et les partis politiques, la société civile, les entités religieuses, les femmes, les jeunes, etc. Tous les sujets sont évoqués et bien évidemment la situation politique et les prochaines élections.
Où en êtes-vous dans la mise en œuvre de l’Accord de paix signé à Bangui le 6 février 2019 ?
L’Accord politique pour la Paix et la Réconciliation en RCA, signé il y a 14 mois, a d’abord entrainé une baisse de la violence dans le pays et a permis la poursuite du programme de DDR (Désarmement, démobilisation, réintégration) dans l’ouest de la RCA. Un gouvernement inclusif a été formé et des représentants des groupes armés signataires ont rejoint l’administration publique. Malheureusement, les violations n’ont pas tardé, provoquées notamment par le FDPC (dont le leader Abdoulaye Miskine est désormais sous sanction des Nations Unies), le 3R, l’UPC, le FPRC et le MNLC. Il s’agit de violences contre les populations, les forces de défense et de sécurité et des casques bleus ainsi que l’implantation dans de Nouvelles zones, ce qui est contraire à l’APPR-RCA. La MINUSCA, en tant que facilitateur, les garants que sont l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) ainsi que le Gouvernement poursuivent leurs efforts en engageant les groupes armés auteurs des violations afin de respecter leurs engagements. L’APPR-RCA reste la seule voie pouvant permettre au pays de tourner la page de la crise mais il faut que les signataires, notamment certains groupes armés respectent leurs engagements. Il faudra aussi que la classe politique, la société civile, la presse et l’opinion publique en général s’approprient et soutiennent cet accord de paix. Je me réjouis que l’appel du Secrétaire General pour un cessez-le-feu mondial lancé le 23 mars 2020 que j’ai relayé par un communiqué en date du 25 mars ait été suivi d’effet avec l’adhésion expresse de groupes armés signataires et pas des moindres. Quant à la MINUSCA, tout en jouant pleinement son rôle de facilitateur, elle continue à exécuter son mandat de protection des civils et des institutions, y compris en utilisant la force. C’est dans ce cadre que la Force de la MINUSCA mène depuis le 17 juin 2020, une opération militaire coordonnée avec les Forces Armées Centrafricaines contre le 3R dans le nord-ouest.
Parlons maintenant du Sénégal. Quelle est votre lecture de la situation politique, économique et sociale dans le pays ?
En tant que fonctionnaire international j’ai un devoir de réserve. Ce sont là effectivement des questions que je suis de loin et qui m’intéresse en tant que citoyen sénégalais et aussi comme vous le dites en tant qu’ancien ministre des affaires étrangères de mon pays. Je reste bien entendu en contact permanent avec le Président de la République, des amis politiques et des amis tout court pour échanger avec eux sur la situation du pays, de la région et du continent et sur la contribution que je pourrais être appelé à faire à la fin de ma mission onusienne.
Mankeur Ndiaye ambitionne-t-il de revenir aux affaires au Sénégal ou préfère-t-il se consacrer à sa carrière internationale aux Nations Unies ?
Je suis le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies et Chef de la MINUSCA depuis février 2019 afin de mettre en œuvre le mandat du Conseil de sécurité, à travers la résolution 2499. Toutefois, le Sénégal reste le pays qui m’a tout donné. Je lui dois donc tout en retour. En servant les Nations Unies, je sers également le Sénégal qui en est un membre éminent. Et qui, depuis 1960, déploie des contingents dans les opérations de L’ONU à travers le monde. Bien sûr que je reste à la disposition de l’Etat en ma qualité de haut fonctionnaire, tout en continuant à assumer des responsabilités importantes pour le Secrétaire Général des Nations Unies qui a bien voulu me confier la direction de la MINUSCA.

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